Another Day in Paradise

Gwenhwyfar interpella un manant qui passait dans la rue.

"Mon bon sieur, pouvez-vous m'aider ? Il fait froid et je n'ai nulle part où aller. Y a t'il un endroit que vous pouvez m'indiquer ?"

Il continua de marcher sans un regard en arrière, prétendant qu'il ne l'avait pas entendue. Il commença à siffler alors qu'il traversait la rue, l'air embarrassé de se trouver là. Un autre jour pour toi et moi au paradis... pensait-elle en le regardant s'éloigner. Il pouvait voir qu'elle avait pleuré. Elle avait des cloques aux pieds et pouvait à peine marcher mais elle essayait. On pouvait dire aux marques sur son visage qu'elle avait été là, rejetée de partout car elle n'avait sa place nulle part.

Le ciel n'allait plus tarder à s'éteindre et le vent la cinglait froidement comme les ceinturons le faisaient régulièrement. À jeun depuis le matin, elle n'avait en bouche qu'un goût âpre en souvenir de la nuit précédente. Une nuit pénible qui lui avait valu juste assez de sous pour dormir dans l'étable d'une auberge sordide mais elle espérait pouvoir les économiser en s'attirant la pitié d'un marin qui la laisserait dormir sous quelques planches, dût-elle briquer un pont ou rendre n'importe quel autre vil service. Peu lui importait tant qu'elle échappait à la rudesse du crépuscule qu'elle prévoyait orageux. Elle avait assez le loisir de scruter l'horizon pour savoir quand celui-ci amenait de mauvais nuages près des côtes. Le front plissé par l'inquiétude grandissante, elle s'approcha des quais. Mais elle n'y était pas encore qu'un débardeur lui barrait le passage. Il avait le teint hâlé et un regard sévère sous une arcade proéminente que couvraient des mèches châtain trempées de sueur. Ses muscles saillants et dénudés se contractaient sous le poids d'un baril qu'il portait sur l'épaule.

"Pas de racolage sur mes quais, vilaine.

- Brave sieur, n'en croyez rien. Je suis certaine d'avoir aperçu un ami embarquer à l'instant. Puis-je ?" fit-elle en amorçant un pas en avant.

Un bras gros comme sa tête se tendit devant elle. D'agacement elle se mordit la lèvre inférieure, sale manie qui ne la quittait pas et la marquait de gerçures.

"J'ai dis non. Retourne te rouler dans la fange avant de me fâcher."

Têtue, Gwenh appuya sur le bras pour le baisser et tenta de forcer le passage. Un éclair parcourut alors sa vision et l'instant d'après elle mouillait ses guenilles dans la terre humide. Elle porta la main à son oeil gauche qui lui faisait terriblement mal avant de s'égosiller à la cantonade.

"Goujat ! Battre ainsi une faible femme sans aucune honte !"

L'objectif de ses cris n'était pas tant d'incriminer son agresseur que d'attirer l'attention pour qu'un galant la prenne sous sa protection et, elle en rêvait, lui propose la moindre pitance. De son unique oeil valide à ce moment, elle balaya les badauds. S'en trouvait-il un seul qui se déciderait à agir ?

Le débardeur en action:

Cassiopée avait quitté Sulin le coeur inquiet, comme à chaque fois. Aussi apte soit son assistant, l'herboriste n'aimait pas laisser sa précieuse serre en d'autres mains. Ceci dit, un fidèle client de Nenoniel avait besoin de ses services, elle n'avait guère le choix. Et avant que vous ne vous fassiez des idées, le vieil homme avait seulement besoin d'un bon somnifère et une crème pour ses articulations, non pas d'un poison.

Ce voyage, qu'elle faisait relativement souvent, c'était déroulé sans anicroche et tirait déjà à sa fin. En fait, au renne de sa calèche louée, la demi-dryade s'apprêtait à rentrer à l'auberge pour sa dernière nuit, venant tout juste de livrer sa marchandise. Elle avait déjà tant hâte d'enlever cette satanée robe contraignante qu'elle avait mise deux pleines heures à ajuster le matin même. Mais c'était la norme pour elle, devant toute interaction sociale, elle se devait de se présenter sous son meilleur jour, telle une poupée de porcelaine.

Pressée de rentrer, elle passa devant Gwenhwyfar sans s'arrêter. Oui, elle remarqua bien la mendiante -lors de son interaction avec le premier homme- et son état. Mais cela ne la concernait pas, n'est ce pas? Ce n'était même pas son territoire, à quoi bon lui vaudrait aider quelqu'un si ce n'aidait pas sa réputation locale. Et puis, il n'allait pas faire siiiii froid que ça, non? Il n'en fallut pas tant pour que la demoiselle décidé de rebrousser chemin, décidant de faire une bonne action. Elle pourrait à la limite lui offrir une couverture de laine, se dit elle. Ce n'était pas tant mais ce serait sûrement apprécié.

De retour donc sur place, Cass ne trouva pas la mendiante et pensa que cette dernière avait quitter jusqu'à ce que elle entende une querelle qui semblait se préparer en direction du quai. Lorsque l'apothicaire arriva sur place, la mendiante -qu'elle reconnu- était au sol, l'homme se tenant agressivement devant elle. D'un pas décidé mais délicat, l'hybride descendit de son carrosse et se dirigea vers les deux inconnus. Sans hésiter, elle se joint à la conversation.

" et toi, ne crois tu pas que il est l'heure de rouler jusqu'à la taverne où tu boira pour oublier que ta femme, malheureuse d'être confinée dans une union avec un être aussi moche, couche avec le boulanger? ", dit-elle sèchement, avec une diction confirmant ce que sa tenue présentait; que la demoiselle était au moins de petite noblesse.

Mais ce n'était pas ses habits d'un bleu royal ni sa posture bien droite qui firent déguerpir l'homme. Ni même, en fait, le venin que venait de cracher Cassiopée. Ce qui le fit partir, fort probablement, était la bête capable de cracher un réel venin qui se prélassait dans le cou de la jeune femme, profitant de la chaleur corporelle de cette dernière. Un long serpent d'un bleu sarcelle reluisant, aux regard presque aussi perçant que celui de sa maîtresse. Et lorsqu'il tourna les talons, elle en fit de même, tendant une main à Gwen.

Elle s'était jointe à cette altercation sans penser et voilà qu'elle devait maintenant songer à ce qu'elle ferait.

" Vous allez bien? ", demanda-t-elle en premier, plus par protocole qu'autre chose, après tout, elle voyait bien l'oeil de la pauvre. " Venez avec moi, j'ai surement une crème dans le chariot pour vous soulager. "

Non, ce n'était pas dans ses habitudes d'offrir un produit gratuitement. Elle dirigeait une entreprise après tout. Mais maintenant qu'elle s'était déjà embarqué dans la situation, elle ne le ferait pas à moitié. Si elle était pour jouer la noble qui s'occupe du peuple, elle le ferait jusqu'au bout.

( Style vestimentaire de Cass Ici, ne pas se fier aux couleurs du dessins, imaginer le tout dans des teintes de bleu foncé/royal Smile

)

Une aide providentielle se présenta sous les traits gracieux d'une femme qui mit en déroute le débardeur belliqueux avec une aisance impressionnante. Acceptant volontiers la main tendue, je fis de mon mieux pour me tenir à peu près droite devant cette chevaleresque inconnue qui s’enquérait alors de moi. Je la suivis tant bien que mal avec mes pieds écorchés, mais je ne pouvais décemment rien accepter de plus d'elle après qu'elle m'avait sauvée d'une rouste à ajouter à mes déboires.

" Vous êtes trop bonne, ma Dame, mais ce serait gâcher votre crème. D'ici demain, je n'aurai plus mal et dans une semaine, il n'y paraîtra plus. En revanche... "

Mon regard se porta successivement sur la Dame, noble à n'en point douter, et l'auberge la plus proche. Quelque chose en moi hurlait de quémander une nuitée bien à l'abri. D'autre part, je répugnais à délester la gente féminine de ses sous et j'étais déjà son obligée. Avec une pointe de regret, je repris :

" Je vous suis redevable. Comment puis-je vous remercier d'avoir été plus courageuse qu'aucun homme ne l'a jamais été ? J'ai peur de n'avoir que ma gratitude et d'insipides flatteries à vous offrir. "

À mieux la regarder, elle était si bien vêtue que même en repensant à ma jeunesse je ne pouvais retrouver le souvenir d'avoir porté de si belles robes. Je chassai de mon esprit la jalousie malvenue que je sentais poindre en mon sein et m'aidai en cela en portant mon attention sur l'étrange animal qu'elle avait autour du cou. Jamais je n'avais vu semblable créature et je la trouvai instinctivement inquiétante bien que fascinante.

" Si les miracles avaient une apparence, ce serait la vôtre. Vous ressemblez aux légendes contées par les troubadours, celles qui émerveillent le petit peuple. Je suis bénie de vous avoir rencontrée, " flagornai-je en me fendant d'une révérence gauche et raidie qui n'avait plus rien à voir avec mon élégance fanée.

J'avais presque tout perdu depuis que j'avais fui mes parents. Mais il était une chose que rien ne pouvait m'arracher : j'avais appris à débiter des compliments et à complaire aux hommes. Ce n'en était bien sûr pas un là devant moi, cependant je n'avais guère l'art et la manière de m'adresser aux femmes puisque ma famille avait estimé superflu de m'y exercer.

(Je réalise que dans mon MP, j'aurais du te spécifier que j'allais répondre en soirée ici, donc très tard pour toi. Désolée ^^")

L'inconnue était visiblement heureuse de son intervention. Au moins, elle ne s'y était pas mêlée pour rien. Bon, des remerciements n'étaient pas grand chose, mais l'apothicaire pouvait apprécier des sentiments sincères. Évidement, les flatteries qui suivirent n'étaient pas nécessaires mais Cass laissa la mendiante finir avant de parler, à son tour.

Tenant le petit pot en verre dans ses mains, la demi-dryade le tendit à nouveau à l'inconnue.

" J'insiste. Ce n'est qu'une pommade d'Actée noire et d'Arnica. Ça aidera à éviter que ça enfle trop tout en soulageant la douleur. J'en ai amplement, c'est dans mes meilleurs vendeurs, un pot en moins, ce n'est pas bien grave. ", dit-elle en toute honnêteté. Ce n'était effectivement pas un onguent très dispendieux, elle ne perdait pas beaucoup de sous en l'offrant à la dame. En fait, le pot en verre valait probablement plus que son contenu.

" Je me nomme Cassiopée ", ajouta-t-elle, tentant de faire un peu de conversation, bien que la noble savait qu'elle ne pouvait pas s'éterniser, la nuit allait bien se montrer et elle devait être au lit relativement tôt puisqu'elle quittait à l'aube pour son chez soi. Ce qu'elle avait hâte de retrouver sa serre, ses plantes, fleurs et arbres.

Rapidement, la jeune femme monta à l'arrière de sa calèche pour y ranger son serpent dans une petite cage en fer qui lui était destinée. Le reptile n'était pas de toute confiance, bien qu'en général coopératif, mais il était souvent plus nerveux en présence d'étranger et elle voulait éviter un incident puisque le venin de ce dernier était plutôt puissant.

" Oh! ", s'exclama-t-elle, songeant à quelque chose, se sentant un peu stupide de ne pas y avoir penser avant. " Où dormez-vous? Je peux vous y reconduire ", proposa-t-elle avant de continuer. " La pommade, bien qu'efficace sans doute, peut causer de la somnolence. Il serait plus prudent de l'appliquer juste avant le coucher afin d'éviter les potentiels incidents. "

Devant l'insistance de la demoiselle, il aurait sans doute été plus malpoli qu'autre chose de refuser le présent qu'elle me tendait. Je m'en saisit à contrecœur et m'inclinai profondément.

" Merci infiniment dame Cassiopée. Je ne saurai vous exprimer toute ma reconnaissance. On m'appelle Gwenh, pour faire court. "

Tandis qu'elle grimpait à l'arrière de sa calèche, je ne pus m'empêcher de l'admirer avec envie. Elle semblait si assurée, libre et indépendante. C'était le genre de chimères qui m'avaient fait quitter mon foyer et je m'étais si bien plantée que, de désastre en désastre, j'avais fini par atterrir ici, indigente et méprisée par les passants qui foulaient chaque jour un peu plus les brisures éparpillées de mes rêves d'antan. Cassiopée incarnait une chose en laquelle j'avais perdu la foi : l'espoir. Sans s'en douter, elle réveilla en moi une envie ténue de lutter et de recouvrer ma dignité. Quand elle me proposa de me conduire à l'endroit où je dormirais, je fus prise au dépourvu.

" Vraiment, votre générosité me touche. Si ce n'est pas en abuser, il y a bien une auberge près de la place qui accepte presque n'importe qui dans son étable tant qu'on y paye quatre sous. "

Péniblement, je m'approchai du véhicule en claudiquant sur mes pieds dont la peau de la plante avait depuis belle lurette pris congé.

" L'auberge en elle-même est très correcte, je crois, si vous cherchez où dormir. Et ainsi je pourrais rester près de votre attelage. Ce n'est pas grand chose mais ma présence pourrait dissuader d'éventuels voleurs. "

Pour lui expliquer le risque que Cassiopée encourait bel et bien, je désignai les navires arrimés aux quais en les pointant du doigt.

" Ces bateaux repartiront demain à l'aube. Il est courant que certains marins peu scrupuleux achèvent de combler leurs cales avec le fruit de larcins nocturnes, " expliquai-je avant de la regarder à nouveau. " Je ne suis pas en mesure de faire beaucoup plus que de partager avec vous ce que je sais des environs. Ce n'est qu'un piètre dédommagement pour la peine que vous vous êtes donnée pour moi. "

" Enchantée Gwenh ", dit poliment la jeune femme lors de l'échange de présentation.

Grimpant à l'arrière de sa calèche, durement limitée dans ses mouvements, la demoiselle se rappela rapidement de la hâte avec laquelle elle désirait se dévêtir pour enfiler une tenue plus confortable. Si elle acceptait la convention sociale la forçant à s'accoutrer de telle façon, cela ne l'empêchait pas de prier un jour où les jupes ne seraient plus à la mode pour les femmes. Et que dire des corsets. Elle tendit la main à la mendiante, afin de l'aider à gravir la marche qui était assez haute. C'est alors que cette dernière lui parla d'une auberge. Bien qu'elle voulu lui répondre, elle la laisse poliment finir sa proposition avant de s'exprimer.

" Non sens! ", s'exclama-t-elle lorsque Gwenh proposa veiller sur le chariot et son contenu. " Quelle auberge digne de ce nom ne peut même pas garantir sécurité aux biens de ses clients? ", ajouta-t-elle avant de continuer. " J'ai déjà une chambre au centre de la ville. C'est plus cherrant, mais il n'y a pas de ce genre de soucis, garantis. ", expliqua-t-elle avec un sourire destinée à la femme errante.

Évidemment, il ne lui passa pas la tête ce que les tenanciers de l'auberge auraient pour dire lorsqu'elle se pointerait avec la dame. Mais elle payait, cher, alors ils avaient bien intérêt à ne pas rouspéter trop fort. " Le sol de la chambre sera beaucoup moins froid et plus confortable, pas question de dormir dans une étable. ", clôtura-t-elle, ne s'attendant pas à une objection de la part de Gwenh. Et puis, se dit-elle à elle-même, elle quittait si tôt au matin que la mendiante pourrait peut-être bénéficier du lit pour quelques heures, avant que la chambre ne doivent être quittée. Terminant ce fil de pensée, la noble prit sa place aux rennes de son véhicule. Il n'y avait pas de deuxième siège, la déchue devrait s'installer avec le cargo, sur une boîte ou au sol, mais c'était nettement mieux que marcher. De plus, quelques couvertures de laine et peaux d'animaux divers jonchaient le sol. La brunette tourna la tête, rennes en main, vérifiant que sa voyageuse était prête au départ avant de se lancer.