Assise sur un rocher, au sommet d’un pic culminant de la grande chaîne, la stryge contemplait à ses pieds le fabuleux paysage. Forêts, vallons, rivières et petits bourgs s’étendaient sous ses pieds à perte de vue, tandis qu’au dessus d’elle le ciel offrait son azur infini et pur. Le lac millénaire niché au creux d’une vallée, formant un miroir naturel, prenait de l’empyrée la céleste couleur, donnant l’impression qu’un morceau de ciel avait était emprisonné entre les flancs de ces hautes montages.
Bien que l’astre du jour brillait de son plus bel éclat, Strix avait gardé son large manteau à capuchon pour se protéger de l’air frais et mordant des sommets. Ayant ôté son masque afin de sentir le souffle de la brise sur son visage, l’observatrice jouissait pleinement du silence et de la quiétude des lieux. La solitude incitant au dialogue de l’âme, elle se mit à monologuer d’une voix qui était presque un murmure comme si elle s’adressait au vent, aux montagnes et au monde qui l’entourait plus qu’à elle même.

« Tout est si calme… L’on est à mille lieues de penser qu’un véritable fléau endormi, pareil à une maladie latente, est sur le point d’éclore et ravagera bientôt ce havre de paix. Je pressens le malheur qui viendra s’abattre sur ces terres. Il est comme un nuage de pluie qui grossissant à l’horizon, crèvera sur nos têtes répandant le déluge de la guerre dans notre monde de merveilles. Oui, la guerre est en marche et rien ne pourra l’arrêter. Elle rasera les forêts, embrasera les villages, teindra de rouge l’eau des ruisseaux, mettra à sac les châteaux ne laissant derrière elle que cendres, ruines et charniers.
Bientôt je n’aurai plus besoin de chasser tant l’horreur et le sang auront imprégnés nos contrées. Nul besoin de s’effrayer avec des terreurs fictives ou des rêves angoissants si la réalité même dépasse nos pires cauchemars. »

Un léger bruissement derrière elle lui fit savoir qu’elle n’était pas si seule qu’elle le pensait. L’intrus l’avait-il entendu ? Et dans ce cas que devait-il penser d’elle ? Les personnes qui parlent toutes seules sont en général ; soit des vieillards séniles, soit des fous ou bien des êtres trop souvent seuls.

Hum… sénile à mon âge je n’espère pas ! Folle ? peut-être un peu après tout…

Elle replaça sont masque sur sa face angélique, mieux vaut se montrer prudent quand on ne sait pas à qui on a à faire. Sans détacher ses yeux du panorama, avec la voix rauque et impersonnelle de l’Effraie, elle prononça à l’adresse du nouvel arrivant ces quelques mots :

« Agréable n’est-ce pas ? »

J'avais courru toute la journée, profitant d'une liberté fraichement retrouvée. Sans vraiment faire attention où j'allais, je me retrouvai soudain au pied des montagnes les plus imposantes du continent.

*Puisqu'on y est...* pensai-je, comme un défi lancé aux blocs de rocs.

Je gravis donc la pente abrupte, m'entrainant à allier vitesse et silence. Je ne fis bouger que quelques rochers sur l'ensemble de l'ascension, et une fois arrivé sur l'une des plateformes dominantes, que j'étais plutot fier de moi. A peine fatigué, le souffle encore régulier, j'étendis mon corps de loup sur l'herbe rare. Le silence, à cette altitude était bonifiant.

A ma plus grande surprise, celui-ci fut cependant brisé. Alors que je m'apprêtai à repartir en sens inverse, j'entendis une voix féminine, assez lointaine néanmoins pour que je ne perçoive pas toutes ses paroles. Curieux, je décidai de m'en approcher.

Je ne fus pas déçu. Une magnifique jeune femme se tenait devant moi. Dissimulé, je pus tranquillement l'écouter et l'admirer à ma guise. Apparement, elle était seule.
« Tout est si calme… L’on est à mille lieues de penser qu’un véritable fléau endormi, pareil à une maladie latente, est sur le point d’éclore et ravagera bientôt ce havre de paix. Je pressens le malheur qui viendra s’abattre sur ces terres. Il est comme un nuage de pluie qui grossissant à l’horizon, crèvera sur nos têtes répandant le déluge de la guerre dans notre monde de merveilles. Oui, la guerre est en marche et rien ne pourra l’arrêter. Elle rasera les forêts, embrasera les villages, teindra de rouge l’eau des ruisseaux, mettra à sac les châteaux ne laissant derrière elle que cendres, ruines et charniers.
Bientôt je n’aurai plus besoin de chasser tant l’horreur et le sang auront imprégnés nos contrées. Nul besoin de s’effrayer avec des terreurs fictives ou des rêves angoissants si la réalité même dépasse nos pires cauchemars. »

Et elle avait parfaitement raison. Cela m'étonna cependant d'apprendre qu'elle était une stryge... Au fond peu importe... J'avisai un petit caillou à coté de ma patte, et le bousculai afin de me manifester. Cela ne manqua pas. La stryge remit son masque et s'adressa à moi :

« Agréable n’est-ce pas ? »

Je sortis du couvert des buissons épineux, et m'avançai la tête haute vers l'étrangère masquée. Ne pouvant que communiquer par la pensé, mais n'osant pénétrer sans son accord dans son esprit, je me tins assis à quelques mêtres d'elle, et inclinai simplement la tête en guise d'opination. Cela aurait été plus simple de me transformer en humain, mais le danger n'était pas encore écarté, et je haissai vraiment cette enveloppe charnelle. Je laissai donc le silence s'installer. Si cette inconnue était un peu cultivée, elle devinerai sans peine ce que je désirai faire. Et cela, je n'en doutais pas.

Un loup sorti de derrière les fourrés, et vint s’asseoir non loin d’elle en hochant légèrement la tête comme pour lui donner un signe d’approbation.Son attitude peu farouche, ainsi que le fait qu’il semblait comprendre ses paroles et même lui répondre, prouvait qu’il n’était pas un animal ordinaire. Il n’en fallu pas plus à Strix pour s’apercevoir qu’elle avait à faire à un wolbatas. Après l’avoir longuement observé au travers de son masque, sa voix de stryge devint sensiblement plus humaine et elle lui dit :

« Tu peux parler tu sais. Si tu as entendu ce que j’étais, n’ait crainte… Je ne chasserais qu’à la nuit tombée, d’ailleurs c’est elle que j’attends ici. Et toi ?
Au fait, ne te sens pas obliger de te transformer. Tu as bien raison de rester sous ta vraie forme :
On est mieux quand on est soi, sans artifice, sans déguisement… »

Elle plongea son regard dans les yeux du loups, attendant une réponse de ce dernier.
Quiconque ne se serait pas senti rassuré face à un tel interlocuteur, et Strix l’aurait sûrement était si elle n’avait pas déjà côtoyé les pires créatures de Fantastiqua. Après tout, et ce malgré les apparences, celui des deux qui méritait le plus l’appellation de « monstre » c’était bien elle.
Ce compagnon au gris pelage était certes imposant : Un jeune mâle adulte de grande taille, fier, doté de puissantes pattes griffues, mais dont le regard à l’éclat d’or exprimait un tempérament pacifique.
Sa force physique devait de loin dépasser celle de la jeune femme, et il aurait pu faire d’elle qu’une bouchée. Néanmoins elle savait pertinemment qu’il ne le ferait pas. S’il avait voulu l’attaquer, il y a longtemps qu’il l’aurait fait … et pourquoi l’attaquer sans raisons ? Quand bien même les choses tourneraient mal, les wolbatas (comme tout autres êtres dotés de conscience) pouvaient être sujets aux angoisses et aux illusions. Une question lui traversa l’esprit :

De quoi une telle créature pourrait-elle bien avoir peur ?

« Tu peux parler tu sais.
Si tu as entendu ce que j’étais, n’ait crainte… Je ne chasserais qu’à la nuit tombée, d’ailleurs c’est elle que j’attends ici. Et toi ?
Au fait, ne te sens pas obliger de te transformer. Tu as bien raison de rester sous ta vraie forme : On est mieux quand on est soi, sans artifice, sans déguisement… »

Je crois qu'elle était la première "créature" à me traiter ainsi. La première à ne pas avoir peur. La première à sembler à l'aise. Dès le départ, je lui en fus infiniment reconnaissant.

*C'est très rare que quelqu'un m'accepte tel que je suis... J'avoue que je m'attendais à une réaction plus négative de ta part. Celles qui m'accueillent régulièrement en fait. Mais crois moi, je suis bien heureux que ce ne soit pas le cas !*

Je relevai ensuite une petite ironie. Sans être méchant, du moins je ne le voulais pas, je lui fis remarquer :

*Cependant, il parait bien étrange pour une demoiselle ainsi masquée de parler d'absence d'artifices... Ou serait-ce une obligation ?*

Je lui souris à pleine dents, de ce sourire lupin si bizarre qu'il en avait fait fuir plus d'un. Je baillai ensuite largement, m'étirant le cou en même temps, et me mis en position couchée. Quoi qu'elle soit, cette jeune femme ne me veut pas de mal. Ce relâchement de ma part lui prouverait ma réciprocité. Je repris, afin de répondre à sa première question.

*Je suis ici car je t'ai entendu parler alors que j'escaladai la montagne... je voulais savoir qui parlait ainsi. D'ailleurs, j'ai trouvé tes paroles très justes...*

Je me tus un moment.

Strix avait vu juste, ce woltabas était des plus amical. Il lui répondit par la pensée, comme ceux de sa race ont coutume de le faire sous leur forme originelle, cette dernière ne leur permettant pas d’articuler des vocables humaines.

*C'est très rare que quelqu'un m'accepte tel que je suis... J'avoue que je m'attendais à une réaction plus négative de ta part. Celles qui m'accueillent régulièrement en fait. Mais crois moi, je suis bien heureux que ce ne soit pas le cas !*
*Cependant, il parait bien étrange pour une demoiselle ainsi masquée de parler d'absence d'artifices... Ou serait-ce une obligation ?*

Dans un premier temps, la jeune femme ne répondit pas à cette remarque un tantinet railleuse, mais non dénuée d’esprit. Elle fut bien aise que son masque dissimule son manque d’humour qu’aurait trahi le pincement de ses lèvres. Cependant le sourire du loup fût communicatif et ne tarda pas à lui rendre le sien. Il était si peu commun de voir un loup sourire que cela était singulier et même comique ! Après avoir pris ses aises l’étonnant personnage poursuivit afin de donner un réponse à la question qu’elle lui avait posé:


*Je suis ici car je t'ai entendu parler alors que j'escaladai la montagne... je voulais savoir qui parlait ainsi. D'ailleurs, j'ai trouvé tes paroles très justes...*

« Je les souhaiterai fausses de toute mon âme… »

Répliqua, après un court instant de silence, la jeune femme dont la voix se fit très douce mais sensiblement amère. Elle releva à moitié le faciès de pantin impassible qui couvrait sa figure, révélant ainsi un triste sourire.

« Mon visage… tu l’as vu hein ? Tout à l’heure, je l’ai caché trop tard, mmh ? »

Elle retira entièrement son masque et le contempla dans ses mains.

« De toutes façon, je suppose qu’il est inutile avec toi… »

Elle fit une moue de mépris à la face figée et inexpressive qui semblait la regarder de ses yeux vides.

« Je le garde pour qu’on ne puisse pas associer mon vrai visage à celui d’une stryge. Je ne veux pas que l’on sache ce que je suis vraiment et inspirer la peur ou le dégoût aux autres. Je refuse en me regardant dans la glace d’avoir le visage d’un monstre pour reflet. Alors quand je vais chasser ou exécuter des actes sordides qu’accomplisses ceux de mon espèce, je met le visage de l’Effraie, le visage la stryge c’est lui. »

Sur ces mots elle tandis l’objet vers lui comme pour le lui montrer.

« Lorsque je sèmerais la mort, la souffrance et l'épouvante sur les champs de bataille, ce sera lui… »

La jeune femme était troublée. Apparement, elle n'aimait pas vraiment sa véritable nature. Tuer pour vivre ne lui inspirait guère le plus grand des respects.

*Dans un sens, je te comprends point par point, commençai-je. Dans un autre nous sommes tout aussi différents que l'arbre l'est de la roche...*

Oh oui... bien différents... moi qui ai souvent été considéré comme monstre, j'eus peine à pensé que cela n'était rien par rapport à ce qu'elle avait du entendre.

*Dans un premier temps, j'aimerai que tu saches que je n'aime pas plus que toi les guerres et les masscres. De même, tuer me répugne, parfois. Mais je suis un loup. J'ai besoin de tuer, pour vivre, alors je m'y suis fait. Mais saches que je ne tue que le strict nécessaire. Jamais plus, je m'en voudrais trop et ce ne serait pas juste. Mais quand on m'a dit qu'une guerre éclatait, je me suis renseigné sur les deux camps, et me suis rallié à celui qui me semblait défendre la cause de la majorité.*

Je soupirai. La guerre... j'aurai pu fuir, y échapper. Mais ce Prince défendait des valeures qui m'étaient trop chères pour que je les abandonnent.

*Et, oui, j'ai vu ton visage. Et je trouve d'ailleurs bien dommage de le cacher sous un masque... Cependant je te comprends. Quant il s'agit de m'intégrer, je me dois de me montrer sous ce que je ne suis pas : un homme. En quelque sorte, je renie ma vraie nature. Toi, en revanche, tu ne la renies pas, tu ne fais que la dissocier. Je ne sais pas si tu vois la subtilité, peut être que je m'exprime mal. En mettant ce masque, tu diffèrencies parfaitement tes besoins vitaux de ta vie. Ainsi, la stryge qui a besoin de se nourrire est sous le masque, alors que la vraie stryge, si j'ose dire, reste à découvert, sans déguisement, sans artifice. Tout le monde te connais telle que tu es. Je trouve ça... enfin, c'est beaucoup mieux, à mon avis.*

Et je le pensai vraiment. Elle n'avait pas besoin de garder ce masque pour s'intégrer directement. Elle l'utilisait seulement pour ses petites escapades nocturnes, quand elle se laisse completement aller à ce qu'elle est, mais qu'elle n'aurait pas forcément voulu être. Au grand jour, elle est comme elle le souhaite. Moi, je dois me cacher. Me cacher sous la silhouette dégringalée d'un jeune homme fragile. C'était aussi pour cela, que j'appréciai tant de rencontrer de rares personnes qui m'acceptaient tel que je suis, un loup. Pour ne pas avoir à subir la honte de cette transformation, même si, peu à peu, je crois que je commençai à m'y faire.

*En tout cas, ne t'inquiéte pas... je ne révêlerai pas ce qui ne doit pas l'être.*

*En tout cas, ne t'inquiéte pas... je ne révêlerai pas ce qui ne doit pas l'être.*

La jeune femme souri en signe de gratitude. Ce wolbatas était non seulement sympathique mais en plus il semblait parfaitement la comprendre. Lui ne la jugeait pas, au contraire il la réconfortait.

« Vois-tu, j'ignore si les hommes qui t’ont appelé "monstre" ont pris par la suite le temps de t’ écouter ; mais s’ils avaient découvert quel être bon et sage tu es, ils auraient révisé leur jugement et se seraient eux-même senti « monstrueux » de t’avoir traité ainsi.
Je sais que tu dois tuer pour te nourrir… Et tous nous tuons pour nous nourrir. Même les hommes qui t’ont un jour appelé « monstre » à cause de la peur que tu leur inspires, même eux ils tuent ou mangent de la chaire d’anciens vivants. La nature vous à faite comme ça. La Différence est que vous, vous vous nourrissez d’animaux, d’êtres dont la conscience et la raison ne sont pas aussi développé que la nôtre, voir quasiment inexistante. Alors que moi… il me faut le plus souvent m’attaquer à des personnes qui pensent, rient ou pleurent comme toi et moi. Plus l’être a de conscience, plus profondes sont ses angoisses, plus terrible est sa souffrance, et c’est de cela dont je me nourri.
Vous tuez instantanément, ils ne souffrent pas… moi je dois les torturer pour vivre.
D’un autre côté je ne les tue par forcément. Enfin je ne dis pas que c’est mieux, mais c’est la vie !»

Strix sauta du rocher où elle était assise, pour venir plus près du loup.

« Et au fait : Je te suis reconnaissante de garder mon secret. »

Elle commençait à beaucoup apprécier ce nouveau compagnon. Un moment elle fut presque tenté de passer amicalement sa main dans l’épaisse fourrure de son camarade, mais elle se ravisa. Il ne s’agissait pas d’un gentil toutou ou même d’un loup ordinaire, mais d’un être fier et intelligent qui n’apprécierait sûrement pas d’être caressé comme un vulgaire animal de compagnie. De plus, savoir que ce wolbatas pouvait prendre une apparence humaine acheva de la dissuader : jamais il lui viendrait à l’esprit de caresser de la sorte un homme qu’elle venait juste de rencontrer !
Elle se contenta donc de sourire une nouvelle fois avant de reprendre.

« Je m’appelle Strix… Strix Harfang. Et si tu me croises en temps de guerre, sous le masque, ce sera l’Effraie. »

Elle tendis une main d’un blanc d’albâtre en sa direction, ne sachant pas vraiment si la patte du loup allait se poser sur la sienne comme le voulait cette coutume humaine qui faisait les hommes se serrer la main entre eux en signe de salut.

« Et toi, qui es-tu ? Tu as bien dit que tu avais fait allégeance à un des deux princes ? Es-tu soldat ? »

Elle m'expliqua ce que j'avais deviné. Elle se nourissait d'angoisses et de peurs. Elle se devait d'attaquer des êtres pensants. Je frissonnai discrètement en y pensant.

Les dernières barrières qu'avait érigeait la méfiance cédèrent. Strix se présenta, et alla jusqu'à me tendre la main. En tant que loup, ce geste ne m'était pas familé, mais les coutumes humaines, j'avais du les apprendre pour ma survie. J'hésitai un instant. Deux chois s'offraient à moi. Ou bien je répondais comme je répondai aux vrais amis, ce qui serait juste, mais un peu prématuré, ou bien je profitai de l'occasion pour me présenter complètement. J'optai pour la deuxième solution. Je l'aimais bien, cela était indéniable, mais je ne pouvais encore la considérer comme amie. Ce serait trop précosse.

Je mutai alors sous ses yeux, et pris mon apparence humaine tant reniée. Je lui souris alors, découvrant des dents bien plus blanches que celle du loup, et lui serrait la main.

"Tel que tu me vois, j'ai plusieurs identités. Pour Kanoë, Prince à qui j'ai prêté allégence, je suis Tarod, car il m'a accepté tel que je suis. Pour les autres, civiles et soldats ennemis, je suis Leefaen, car le nom de Tarod est déjà associé à la crainte du loup que je suis. Bien sûr, entre nous, pas de mensonges, tu peux m'appeler Tarod. Mais saches juste que si Leefaen demande à te parler, ce n'est rien d'autre que moi."

Je lui souris de nouveau, et appréciai cette nouvelle complicité.

"Quant à mon rang, je suis capitaine des armées du Prince. Parfois, je sers aussi d'espion, de messager... je suis un peu polyvalent. D'ordinaire, j'aurais refusé, mais ces différents postes m'accorde la liberté que je chérie tant."

Je laissai retomber le silence, attendant que mmon interlocuteur réponde à son tour.

Strix avait beau savoir que les wolbatas pouvaient se transformer, elle n’en fut pas moins impressionnée quand celui-ci pris sa forme humaine devant elle pour serrer la main qu’elle lui tendait en une poignée amical. Elle dévisagea le jeune homme aux cheveux noirs qui se tenait face à elle.

Étrange… cette apparence diverge totalement de sa forme originelle. Je l’aurais imaginé plus grand, plus corpulent, voir plus… comment dire… bestial ?
Cependant ses yeux bleus gardent cet curieux éclat doré de son regard de loup, et je dois avouer que son sourire est nettement plus charmeur… Se dit-elle intérieurement.

Le jeune homme se présenta à son tour, et cette fois-ci de vive voix…

Tarod… Un capitaine des armées ? Comme quoi le hasard est-une chose surprenante. Il se peut même que je l’ai déjà croisé sans m’en rendre compte… Sous sa forme humaine bien entendu, sinon je m’en serais souvenu ; Un loup géant, on en rencontre pas à tout les coins de rues !

Elle jugea donc qu’elle pouvait lui révéler sa propre allégeance sans crainte. Ils étaient donc compagnons d’armes.

« Je suis ravie que tu sois dévoué au prince de ces terres !
L’Effraie s’est donné corps et âme au prince Kanoë, même si le cœur de Strix préfère se taire et rester neutre. Nous servons donc les même valeurs, et le même ami. Aussi Tarod, je te présente mes excuses. En tant qu’une des quatre capitaines de notre seigneur, je me devrais de connaître les autres officiers de notre armée.
Il est vrai que j’évite le plus possible le contacte avec les autres militaires, c’est une façon de me protéger. Puis on ne se lie pas d’amitié avec un cauchemar ambulant dénué de visage comme l’Effraie. Contrairement à Kanoë pour qui ses soldats sont des amis, je préfère ne pas m’attacher au gens que je risque d’envoyer à une mort plus que probable. »

Elle poussa un long soupir, et ajouta sur une note d’humour :

« Allons capitaine Tarod, j’espère que vous n’interpréterez pas mes paroles comme une marque d’insubordination ou un avis de désertion ? Malgré mon aversion pour les armes je suis une subordonnée et amie fidèle du prince. Et ce avant même qu’il m’ait nommé capitaine. Une vielle connaissance…»

Je reprimai une envie de rire. Il eut suffit que je me transforme pour que Strix passe du tutoiement au vouvoiement.

"Allons, lui dis-je, pas de ça, je t'en prie. On peut se tutoyer non ? A moins que ma carrure impressionnante ne te fasse tellement peur... ajoutai-je en riant"

Oh oui, c'était bien comique. Alors qu'en loup j'avais physiquement l'avantage, je n'étais pas sûr du tout de le conserver en tant qu'humain.

"Personnelement, j'ai débuté en tant que simple soldat dans l'armé de Kanoë. Mais par ma solitude et mon efficacité... je me suis vite démarqué. En bien comme en mal d'ailleurs ! Je pense que Kanoë préfère m'avoir directement sous ses ordres... ça m'évite de faire des bêtises" dis-je dans un clin d'oeil.

Je ris interrieurement en pensant au nombre impressionnant de petites réprimandes qui m'avaient déjà été faites.

"Et comme toi, jeune demoiselle, je chérie la solitude. Je n'aime pas avoir un point d'attache particulier, aussi tu ne me verras jamais combattre pour une terre... Ma liberté est ce qu'il y a de plus important à mes yeux. Mon sens du devoir est grand, ma loyauté encore plus, mais je n'ai que peu d'amis, car je ne reste jamais au même endroit... aussi je te comprends, c'est inutile de faire ami-ami avec ses supérieurs ou ses égaux. Pour moi, le siple respect suffit à une armée. Si chacun respecte l'autre, alors il n'y aura aucun problème... Mais je radotte, maintenant. Pardonne moi, c'est surement le fait de découvrir un esprit parallèle au sien."

Je me tus en moment, appréciant l'air frais qui venait me balayer le visage.

"Dis moi... je suis peut être indiscret... mais est ce que tu rêves, la nuit ?"

Je m'assis ensuite en tailleurs, et guettai les réponses dans les yeux de Strix, espérant de pas avoir commis de faute.

Le sourire aux lèvre la jeune stryge écoutait les paroles de Tarod.

« Et bien jeune loup ténébreux et solitaire, on dirait que ne sommes fait pour nous entendre. »

Avait-elle fini par lui répondre.

« Liberté, respect, loyauté et… solitude. Par les temps qui cours, il devient difficile de laisser libre cours à son caractère. Particulièrement pour ce qui est du désir liberté et de solitude. C’est pourquoi nous nous accordons parfois ces petites escapades. »

Elle prit une grande inspiration comme pour profiter pleinement de l’air pur, puis se laissa aller en s’allongeant sur le sol pour contempler l’azur vierge de nuage.

« Oh, mais je ne chôme pas ici… Je surveille ! Nous sommes perchés sur un observatoire de choix. Comme tour de guet il n’y a pas mieux. Rien n’échappe aux sentinelles qui l’occupent. D’ailleurs… »

Sur ces mots, elle se redressa brusquement pour aller regagner le rocher où elle s’était initialement perchée.

« Tiens regardes. Quand on parle du loup… euh pardon… Je voulais dire ; Regardes là-bas du côté du lac. C’est une patrouille. Et avec un peu de chance, si on peut appeler ça de la chance… c’est sûrement une patrouille d’éclaireurs ennemis qui essaye d’infiltrer nos terres. Je les voyais venir de loin tout à l’heure mais n’en étais pas certaine. Il ne faudrait pas crier à l’invasion, mais juste les prier « gentiment » de revenir d’où ils viennent. Si ils refusaient, nous serions alors contraint de faire en sorte qu’ils n’aillent plus jamais où que ce soit… si ce n’est en Enfer, bien-sûre.
J’irai bien voir ce superbe lac de plus près, pas toi ? »

Elle lança un regard complice en direction du jeune homme.

Strix avait repéré une troupe d'éclaireurs qui pénétraient dans nos terres. Elle me proposait malicieusement de venir à leur rencontre, afin de les accueillir. Je lui souris une dernière fois de mon visage d'homme puis repris ma forme originelle.

*C'est parti...*

Je m'élançai alors à toutes pattes, la tête la première dans la pente abrupte. Mais à peine quelques mêtres plus bas, je stoppai net. Peut être que Strix n'avait pas mon agilité dans une pente telle que celle là. Ne connaissant rien à ses modes de déplacements, je remontai aussi vite que j'étais descendu, et vins me poster près d'elle.

*Je suis bien impoli, demoiselle. Permettez moi de vous offrir un moyen de locomotion turbulent* lui dis en lui présentant mon dos * Sauf si vous préferez vous envoller, ou si vous m'estimez indigne de votre présence* ajoutai-je dans un clin d'oeil.

Je regardai ensuite en direction des éclaireurs. Ils étaient cinq en tout. A cette distance, on ne pouvait vraiment deviner leur race, mais il paraissait évident qu'il ne s'agissait ni de colosses, ni de guerriers d'élites. Très bien. Espérons que notre seule présence les fera fuir. Je n'aimais guère l'idée de les tuer. Si ça se trouve, ce n'était que des pantins de Fûma. Rien ne nous indique qu'ils soient engagés volontaires...

La guerre, décidemment, tout nous y ramène. A croire que notre destin y est voué. Je ris doucement en pensant a mon métabolysme. On aurait pu croire que j'avais été batti pour la guerre. Construit pour tuer. Le loup, bête sanguinaire, les crocs toujours prets à s'enfoncer dans quelque chair, les griffes non rétractables, toujours menaçantes. Né avec des muscles n'attendant que d'être développés. J'avais tout pour moi. La force, l'endurance, l'intelligence tactique. J'avais même le meilleur camouflage qu'un loup puisse rêver. Je pouvais me fondre parmis les hommes. Et même ainsi, bien que paraissant frêle, j'avais à disposition rapidité, esprit et technique. Que je ne m'étonne plus d'inspirer la peur...

La guerre, j'avais été créé pour ça.

Alors qu’elle s’apprêtait à retirer son large manteau afin de dégager ses ailes, déjà le fougueux Tarod, ayant reprit sa forme animal, s’élançait sur la descente abrupte. Mais tout à coup le loup s’en retourna à toute vitesse sur ses pas et revint aussi vite qu’il était parti pour s’arrêter en face d’elle afin de lui proposer son aide :

*Je suis bien impoli, demoiselle. Permettez moi de vous offrir un moyen de locomotion turbulent*
* Sauf si vous préférez vous envoler, ou si vous m'estimez indigne de votre présence*

Pourquoi la vouvoyait-il soudainement ? La formule était peut-être ironique, semblable au ton qu’elle même avait employé quelques instants plus tôt. Cependant elle fut troubler pas tant de délicatesse.

*Indigne de ma présence ? … *

Soudain la question que le jeune-homme lui avait posé, et qu’elle avait esquivé en détournant la conversation, lui revint en mémoire.

"Dis moi... je suis peut être indiscret... mais est ce que tu rêves, la nuit ?" avait-il demandé.

Elle se senti irrespectueuse à son égard. Lui se montrait plus qu’avenant envers elle s’abaissant même à lui prêter son dos pour moyen de locomotion, et allant ainsi à l’encontre de sa nature sauvage ; puis elle, ingrate n’avait pas même daigné répondre à une petite curiosité de sa part en ignorant sa question. Il ne seyait décidément pas de jouer les mystères devant les amis.

«Aucun être n’a jamais était plus aimable avec moi. C’est moi qui suis indigne de tant de courtoisie ! Excuses-moi de ne pas avoir répondu à ta question de tout à l’heure… Tu sais à propos des rêves…
Avant d’accepter ta proposition, permet moi de te répondre, de manière à être quitte envers se service. »

Elle plongea de nouveau son regard diaphane dans celui de son compagnon. Après une courte hésitation, avec un léger malaise que traduisaient ses mains d’albâtre triturant le masque qu’elle tenait entre ses longs doigts fins, elle avoua :

« Je ne dors pas vraiment la nuit. Je chasse et mes rêves sont ceux des autres. Je te dis ça maintenant car si un jour tu surprends l’Effraie, immobile, agenouillé sur le thorax d’une victime endormie, saches que sous le masque mes yeux sont clos et que je me suis insinuée dans ses songes. Nos rêves sont mêlées et je transforme le sien en cauchemar pour me repaître de son angoisse. Sinon je suis incapable de rêver seule… enfin presque… »

Elle se tue un court instant. Le même regard de la stryge, qui fixait avec intensité les prunelles dorées du loup quelques secondes auparavant, devint vague et mélancolique. Soudain ses pupilles retrouvèrent leur éclat vif et perçant de chasseuse nocturne:

« Ah oui, pendant que j’y pense ! Quand nous serons arrivés en bas, si tu vois les soldats égarés qui ignoreront nos avertissements, pâlir, trembler et crier sans aucune raison apparente, ne sois pas surpris. Je provoque aussi des sortes de rêves éveillés, autrement dit : des illusions. »

Les yeux de l’oiseau de proie firent places aux yeux rieurs de la jeune femme, qui reprit d’un ton plus joyeux, agrémenté d’un large sourire :

« Et bien… Pour revenir à ta proposition : J’allais rejoindre l’endroit par les aires, mais puisque tu me proposes si aimablement ton aide. À vrai dire je suis curieuse de voir la sensation qu’on éprouve en dévalant une pente si ardu. Puis cela me permettrait de cacher mes ailes devant ces individus suspects. Mon visage et mes ailes sont les deux partie de mon corps que je me dois de dissimuler. L’Effraie n’est qu’un fantôme difforme et sans visage, pas une jeune fille ailée à la frimousse angélique.»

Elle joint le geste à la parole en ajustant son large vêtement dont elle rabattit la capuche sur sa chevelure de plumes, et en replaçant son masque. Elle saisi ensuite le chapeau de paille usée dont elle se coiffa, puis grimpa avec légèreté sur le dos que Tarod lui présentait.

« Allons-y mon capitaine ! »

Strix s'était livrée avec d'abord beaucoup de gêne. Elle semblait culpabiliser. Je ne tardai pas à comprendre pourquoi. En effet, elle avait oublié de répondre à une de mes nombreuses questions. A vrai dire, je l'avais remarqué sur le coup, mais j'avais par la suite oublié ce détail. Cependant, maintenant qu'elle m'en parlait, j'étais plus qu'attentif. Ainsi, elle non plus ne rêvait pas. Sauf que elle, avait une méthode de substitution que je n'avais pas. J'écoutai son monologue, m'efforcant de retenir chaque détail.

Quand elle eut fini, elle accepta mon offre, et monta avec agilité sur mon dos. Elle était d'une légerté troublante. Ce poid plume sous l'apparence de l'Effraie, cela ne collait pas trop... Je souris à cette reflexion silencieuse. Je recommençai à courir à toute patte, lui recommandent au passage de bien s'accrocher. Je sentis ses jambes se resserer sur mon ventre, et ses mains hésiter à agripper mon pelage. Tout en dévalant la pente aussi vite qu'une avalanche, j'engageai de nouveau la conversation :

*Tu dois te demander pourquoi je t'ai posé une telle question tout à l'heure. En fait, je ne dors pas, et par conséquent, rêver m'est interdit. Pourtant, je suis fasciné par les rêves, et du coup j'essaie de trouver quelqu'un qui partagerait ses aventures nocturnes. C'est étrange, mais j'aimerai comprendre ce phénomène, voir ce que cela fait.*

Je me plongeai de nouveau dans mes pensées. Certes, ne pas dormir constituai un gain de temps par rapport aux adversaires, qui eux pouvaient se sentir fatigués s'ils ne le faisaient pas. Moi, en revanche, mon énergie se régénére tout le temps.

Un rocher me barrant la route me sortit de mes songes. Je fis rapidement un bond de coté. Je sentis Strix s'accrocher d'avantage.

*Nous sommes à la moitié, lui indiquai-je, il y a encre un petit kilomètre de pente abrupte, après c'est plus tranquille.*

La sensation de vitesse ainsi que l’air qui vous fouette le visage, Strix l’avait déjà apprécié plus d’une fois au cours de ses nombreux vols, mais les secousses de ce chaotique moyen de transport lui étaient jusque là inconnues. Bien qu’elle se sentait d’une assez grande confiance envers lui, elle s’accrocha cependant un peu plus au pelage de son camarade. La sensation qu’elle éprouvait au contacte de cette fourrure était bien différente de ce qu’elle avait imaginé. Celle-ci était chaude, épaisse et bien qu’elle l’eut cru rêche, elle n’en demeurait pas moins douce et plutôt agréable au toucher.
Elle savait si peu de choses des wolbatas que malgré les chocs provoqués par cette course effrénée sur ce terrain accidenté, l’attention de la stryge se porta d’avantage sur les révélations que lui avait faite le loup que sur l’inquiétude qu’aurait due lui provoquer l’énorme rocher qu’ils venaient d’évité de justesse.

« Alors tu ne rêves pas… »

Cette nouvelle la laissa un tantinet perplexe, mais elle reprit presque aussitôt :

« Tu voudrais savoir ce que cela fait de rêver ? Et bien… Lorsque tu t’endors tu vois comme des images. Tu t’imagines que tu vis toutes sortes de choses, parfois même surréalistes, ou complètement improbables, et pourtant elles doivent te sembler vraies. J’ai déjà vu un fermier qui rêvait que ses cochons marchaient sur deux pattes, parlaient, jouaient à la balle et l’appelaient « Papa ». Le problème reste que lorsque je visite un rêve, j’agis sur ce rêve, mais j’agi apparemment aussi sur la réalité de telle sorte qu’à son réveil le rêveur aura été marqué physiquement par ses images : l’homme que j’aurais fait ce noyer dans les eaux noires et glacée d’un lac peuplé créatures de cauchemar, quand il s’éveillera, il se sentira asphyxié, ses poumons gelés et son corps recouvert des ecchymoses et contusions provoquées par les crocs, griffes ou tentacules qui l’avaient agrippé pour l’entraîner vers l'abîme. Si toutefois il se réveille bien sûr … Normalement les rêves ne laissent aucun séquelles puisqu’ils ne sont que le fruits de l’imagination. D’ailleurs beaucoup les oublis à leurs réveil. »

Strix voyais la tâche d’azur que formait le lac aux creux des montagne, se rapprocher de plus en plus. Ils étaient presque arrivés à destination. La troupe intruse aussi se rapprochait et devenait de plus en plus visible. Elle était composées de cinq hommes, tous simples soldats, trois d'entre eux armés d' épées et deux autres de lances.

« Aimerais-tu rêver, un jour ? »

Ils continuaient de dévaler la pente, les imposantes pattes de Tarod martelant le sol à folle allure et soulevant un nuage de poussière. L’heure n’étant pas à la discrétion, mais plutôt à l’intimidation, on peut dire que la venue des deux capitaines produisait bien l’effet qu’ils cherchaient à provoquer chez l’ennemi : Dissuasion, c’était le maître mot. De loin les pauvres fantassins avaient l’impression de voir fondre sur eux, une cavale infernale, un démon des légendes folkloriques chevauchant une monstrueuse chimère.

Strix m'apporta bien plus que ce qu'elle ne semblait croire. Par un petit monologue, elle sut m'expliquer ce que personne n'avait jamais su me dire. Au fond de moi, je lui en étais reconnaissant. Après un petit silence, Strix me demanda finalement si j'aimerai rêver, un jour.

*Bien sûr, répondis-je. Je suis très curieux de ce phénomène, mais je nage dans l'inconnu. Vois-tu, vivre un rêve, pour moi, serait peut être la fin de toutes ces interrogations incessantes...*

Nous étions maintenant à quelques dizaines de mêtres des étrangers. Malgré notre venue que j'espérai bien impressionnante, aucun d'eux ne batti en retraite. Ils s'étaient au contraire figés, l'un d'eux un peu devant les autres, marquant ainsi sa position de chef, sans doute.

*Je ne te chasse pas, dis-je à l'Effraie, sachant que sur une courte période, ce serait avec elle que je ferai équipe, non avec Strix, mais je pense que si tu sautais maintenant, pour attérir bien en équilibre juste à mes côtés et à quelques mêtres d'eux, cela pourrait faire un bon effet.*

Il y avait une petite note d'amusement dans ma voix. A avoir tant été chassé par les gens à cause de ma stature, je prenais maintenant un certain plaisir, comme une revanche, d'effrayer mes ennemis.

*Je ne te chasse pas, mais je pense que si tu sautais maintenant, pour atterrir bien en équilibre juste à mes côtés et à quelques mètres d'eux, cela pourrait faire un bon effet.*

« J’approuve entièrement cette suggestion, mon capitaine ! »

L’acte suivit de près la parole, et en moins de temps qu’il ne faut pour l’écrire, l’Effraie se dressa sur le dos de son camarade et d’un bond majestueux s’éleva dans les airs pour retomber près des ennemis, puis de leur dire d’une voix glaciale, stridente et inhumaine, ces quelques mots :

« Salutation soldats ! Dites-nous la nature de votre allégeance, sinon le motif de votre présence sur les terres du prince Kanoë. Doutant fort que vos intentions soient pacifiques, je vous somme de quitter ces lieux instamment. Si vous refusez, en tant que capitaines des armées de l’ange aux ailes noires, nous nous verrons forcés de vous y contraindre par la force. »

Sur ces mots elle sorti de dessous un pan de son large manteau, une ombrelle encore repliée sur elle-même, qu’elle pointa vers la troupe ahurie. Les hommes semblèrent hésiter. Ils se regardaient et murmuraient entre eux afin de se concerter. Ils avaient certes l’avantage du nombre, ils étaient cinq et leurs adversaires seulement deux, cependant ils n’étaient que cinq soldats contre deux capitaines dont l’un était un loup géant et l’autre un être plutôt inquiétant malgré le fait qu’il les menaçait avec un parapluie. L’Effraie sentait cette légère angoisse qu’elle et son compagnon provoquaient chez ses opposants ; ce sentiment de malaise, de doute qui arrive juste avant la peur. Elle le sentait et cela la mettait en appétit, ce qui l’incita à faire d’avantage monter la pression.

« Bien je vais compter jusqu’à trois… Un… Deux… »

Celui qui semblait être le meneur leva son épée vers le ciel en un mouvement signifiant qu’il donnait la charge.

« Mauvais choix… »

Elle saisit le manche de l’ombrelle de fer et sorti la lame qui s’y cachait. Tandis que quatre de ses hommes se mirent à encercler Tarod, celui qui avait donné les ordres se tenait face à Strix ayant jugé que lui seul suffirait à faire face à la créature masquée.
La stryge ne se faisait nul souci pour son compagnon, mais par principe elle décida qu’il fallait se débarrasser au plus vite de cet unique adversaire afin de procéder à un ‘‘partage équitable des tâches’.
Alors qu’elle croisait le fer avec le soldat, en forçant la garde de son opposant elle réussit à approcher son visage du sien et lui murmura :

« Toi le vaillant leader… c’est ça Regardes-moi dans les yeux… »

Mais ce que le guerrier ne pouvait voir au travers des orbites sombre du masque, c’est que le regard de Strix s’était emplis de ténèbres teintant l’iris et le blanc de son œil d’un noir d’encre.

«Dis-moi de quoi as-tu peur ? »

L’Effraie avait capté le regard de sa proie, il était maintenant trop tard pour détourner les yeux. Le guerrier se senti somnolant, incapable de tirer son regard des deux cavités sombres du visage factice… et là il sombra dans une torpeur hypnotique.

*Voyons… que me caches-tu ? Du sang… du noir… des corps… je vois, bien sûre…*

Néanmoins elle fatiguait… Ces peurs n’étaient pas si complexes que ça, et qui plus est plutôt communes. Elle aurait pu le deviner sans se fatiguer à utilisé ses yeux d’Effraie. Comme tous les hommes, il avait peur de la Mort.
Elle lâcha son emprise.
L’homme tomba à genoux sur le sol, légèrement étourdi, mais reprit ses esprits aussitôt, et tenta de se redresser épée au poing. Soudain il s’arrêta, blême, une main l’avait saisi au bras. Un cadavre aux yeux vides et laiteux, la peau rongée par la vermine, se tenait à ses côtés et le tirait à lui. L’homme poussa un hurlement. C’était lui. Ce cadavre lui ressemblait comme deux gouttes d’eau. Il tenta de se débarrasser de l'effroyable apparition en lui assénant un coup d’épée, mais aussitôt l’abomination laissa échapper un cri terrible et un flots d’asticots sorti de sa bouche béante.

Enveloppée dans sa mante, la créature masquée observait la scène. Les deux soldats s’entre-tuaient. Un pauvre guerrier, voyant son chef à terre et quelque peu étourdi, avait simplement voulu l’aider à se relever en le tirant par le bras. C’est alors que ce fou furieux de supérieur lui avait porté un violent coup de taille, et sous l’emprise d’une illusion s’évertuait à l’attaquer, croyant occire un mort-vivant. Le mirage n’était pourtant pas d’une grande complexité, l’Effraie s’était juste contenté de faire croire à ce malheureux meneur d’escadron, que ces alliés étaient de répugnants zombis. Simple, mais efficace. Elle pouvait à présent se repaître de l’horreur de l’infortuné se croyant assaille de toutes parts par des revenants.

Le regard de la stryge de détourna néanmoins un instant du plaisant spectacle qui se déroulait devant ses yeux, afin de voir comment se débrouillait son grand loup de compagnon d’arme. Elle ne doutait pas une seconde que trois malheureux hommes purent avoir la moindre chance face à un wolbatas, mais elle était curieuse de voir comment il s’en chargeait. Puis la peur qu’inspirait le loup à ces trois zouaves lui promettait un d’être un repas de choix.

Strix ne s'offusqua pas le moins du monde de ma remarque, et la prit même au pied de la lettre. Je senti ses pieds se poser sur mon dos avec une infinie précision, puis le corps s'élever dans les airs. Elle me fit grâce en s'adressant elle même aux étrangers. Comme nous nous l'étions dit, elle leur laissa la possibilité de fuir, et comme nous nous y attendions, et j'ose dire, comme je l'espérais, il n'en firent rien. Leur chef, bêtement, annonça l'assaut.

Immédiatement, quatre d'entre eux me sautèrent dessus, et m'encerclèrent sans cérémonie. Je souriai : ainsi, il avaient sans conteste sous estimé Strix. Mon orgueil cependant en fut flatté, ils ne se croyaient pas assez de quatre pour me battre. Je montrai les crocs, et utilisais tous mes sens pour estimer l'adversaire.

Deux d'entre eux portaient une armure digne de ce nom, ils devaient être mieux gradés, et donc surement mieux entrainés. Effectivement, leurs armes en témoignaient : une épée double servait au premier, et le second tenait une épée dans chaque main. Le lâche qui se tenait derrière moi avait une hache, de celle que l'on trouve d'ordinaire chez les nains. Mais il ne m'impressionné guère. Qui dit hache dit lenteur. Le dernier était assorti d'une simple épée, et tremblait déjà comme une feuille. Sans nul doute, celui-ci s'enfuirai avant la fin.

Je ne pus suivre le combat de Strix, mais quand je vis mon couard d'adversaire se précipiter en sa direction, je ne doutais pas un instant que leur chef était, sinon tombé, du moins en sale état.

Je me concentrai de nouveau sur les trois restants. Devenant plus agressif, je tournai sur moi même, menaçant tour à tour les soldats de l'ennemis. L'un d'eux recula par reflexe, et fut rappelé à l'ordre. Je souris de plus belle. J'étais craint, et respecté.

Je fis mine d'attaquer l'homme aux deux épées, qui leva ses armes en protection, mais bifurquait au dernier moment vers le soldat à l'épée double. Celui-ci esquiva mon coup de patte au dernier moment, et ne pensa même pas à profiter de l'ouverture de ma défense pour me porter un coup. Ridicule.

De tous les guerriers que j'ai pu combattre ces trois là étaient certainement les plus butés. Après plusieurs attaques fictives de ma part, cherchant surtout à impressionner, aucun d'eux n'avait encore pris ses jambes à son cou. Soit, j'attaquerai Monsieur deux épées en premier. Lui tournant d'abord le dos, je fis volte face alors que le plus gradé des trois ordonnait la charge. Je vis les soldats fondre sur moi. Je dus reporter mon attque, et me concentrer sur ma défense.

J'esquivai la hache d'un bond sur le coté, et empêchait le nouveau chef de me toucher en lui infligeant une lourde blessure au bras. Le troisième arriva en retard sur ses compagnons et je n'eus qu'à l'accueillir dans ma gueule. Il mourrut sur le coup.

Tétanisés par la puissance que je recelais, les deux autres ne bougeaient plus. Je m'avançai lentement vers le faux nain, posai ma tête contre la sienne, et d'un petit geste, le fit tomber sur les fesses. J'avisai Strix un peu plus loin.

* Celui-ci est pour toi * lui dis-je.

Après tout, la galanterie voulait qu'il y en ai plus pour la demoiselle. Je me tournai une dernière fois vers le seul témoin qui me restait. Je chargeai inconsciement vite. Le soldat n'en fut que plus surpris, je lui déchirai le ventre d'un coup de griffe. Son corps tomba lourdement sur le sol. Les pattes et la gueule en sang, je fis volte face, et admirai le travail de Strix.

Derrière les orbites noires du masque de l’Effraie, les yeux claires de Strix étaient grand ouverts et ne perdaient pas une miette du combat de Tarod contre les trois soldats.

* Kanoë mon prince, vous ne vous trompez jamais dans le choix de vos alliés… Une vraie machine de guerre. *

Elle le vit occire deux hommes avec une dextérité qu’elle ne pouvait que louer, et sa délicatesse le poussa même à lui offrir de tuer le troisième.

* Celui-ci est pour toi * dit-il

Elle avisa l’arme de son nouvel adversaire. Une hache. Aussitôt elle rangea son katana dans le manche de l’ombrelle qui lui servait d’étui. Hors de question d’abîmer cette précieuse lame contre le tranchant grossier de cette arme barbare. Le guerrier, aussi subtil que l’outil dont il était armé, s’élança bientôt en sa direction en lui portant un coup violent mais sans doute trop lent pour la stryge qui le dévia avec son espèce de parapluie replié. Le soldat tenta un nouvel assaut de coups successifs, que la créature masquée para et esquiva sans trop de difficulté avant d’ouvrir brusquement son ombrelle de métal formant ainsi un bouclier la gardant de ces attaques vaines.
Comme pour signifier qu’elle perdait patience, elle commença à faire tournoyer l’ustensile.
Elle sonda le regard de cet être que la panique était sur le point de saisir ; puis elle s’élança faisant virevolter le grand disque de métal aux bords tranchant. Épuisé, affaibli, blessé et désemparé, son adversaire, dans un élan de désespoir se rua sur elle, armant sa hache pour lui asséner un coup dans lequel il eut rassemblé ses dernières forces, espérant faire voler en éclat ce parasol de malheur. L’Effraie ne bougea pas. Elle se contenta de lever son ombrelle encore ouverte à l’horizontal, de manière à cacher tout le haut de son corps. Au dernier moment, alors que le guerrier était à quelques centimètres d’elle, elle fit un pas de côté pour esquiver l’attaque et replia en même temps sa fatale ombrelle puis enfonça violemment la pointe qui en ornait l’extrémité dans le corps de son ennemi. Transpercé par le parapluie, l’homme tomba à genoux. La stryge se pencha sur lui en approchant son masque du visage du mourrant.
Il gémissait affreusement, et exhalait l’angoisse, la souffrance, et le désespoir de l’agonie. Le monstre avait trouvé de quoi finir son repas, sa Soif horrifique allait être étanchée. Elle absorbait tout l’effroi de ce pauvre être, récupérait son énergie. Elle le « buvait » . Plus elle le vidait, plus il sa douleur devenait insurmontable, et plus elle s’en régalait. Quand se fut assez, elle se décida enfin à mettre un terme à sa souffrance. D’un mouvement sec, elle retira son arme, et le corps s’effondra sur le sol.

« Merci, mon ami… Je n’aurai pas besoin de chasser ce soir. »

J'observai Strix, bien curieux de ses méthodes. Loin du stress des champs de bataille, elle respirait la confiance et la sérénité. Pourtant, tous ces mouvements étaient bel et bien sans faille, et dotés d'une précision que je n'avais pas moi même. Malgré moi je ne pus m'empêcher de frissonner quand l'Effraie se nourrit sous mes yeux de la peur de cet homme. Je ne condamnai pas ses méthodes, étant moi même plus ou moins monstrueux, mais l'idée qu'un être ait ainsi accès à mes sentiments ne m'inspirait pas confiance.

Je me rappelai alors que Strix avait elle aussi le statut de général de l'armée de Kanoë. Je ne m'en étonnai plus. J'arrivai même à redouter un éventuel combat singulier contre cette étrange femme. Ma puissance et mon endurance me permettraient-elles de venir à bout de Strix ? Au fond, j'en doutai, mais mon orgueil m'interdisait de penser à la défaite.

Strix me sortit de mes songes en me remerciant. J'inclinai la tête et chassai aussitôt toutes ces idées négatives de mon esprit.

*Ce fut un honneur, Ma Dame* affirmai-je.

Je contemplai alors le sinistre tableau que nous laissions. Cinq cadavres plus ou moins identifiables jonchaient le sol, baignant dans une marre de sang coagulé. Mais sur chaque face, l'on pouvait voir la même marque d'effroie.

Désemparé devant ce spectacle morbide, je fus contraint d'accepter ma faiblesse. J'étais une machine à tuer, et pourtant oter des vies me dégoutait. Je souris tristement de mon sourire étrange de loup, sans tenter de le cacher à ma partenaire. Décidemment, il ne fallait pas que je contemple les champs de bataille après mes combats.

Je pense qu'on peut loquer le sujet x)

le sujet sera archivé dans les jours a venir...